2009-12-09

Sécurité routière et amours boulangères

Libé Lyon publie aujourd'hui un article intitulé Comportements enfantins face aux dangers de la rue, qui commence par ces deux lignes :

« Si tout va bien, un parent normalement constitué, après lecture de ce qui suit, n’enverra plus jamais son enfant chercher le pain au coin de la rue. »
(la suite ici)
Il n'en fallait pas plus pour susciter un commentaire :

Si tout va encore mieux, ce "parent normalement constitué" n'est en fait pas devenu parent, parce qu'il a réfléchi et utilisé un moyen de contraception fiable bien avant de commettre l'irréparable.
Il aura ainsi le loisir d'aller lui-même à la boulangerie, le temps de déguster les petites sucreries qu'il se sera payées en plus du pain plutôt que de devoir se saigner pour acheter des jouets de Noël qui coûtent la peau des fesses, et il pourra rêver tranquillou aux miches de la boulangère, ainsi qu'aux stratégies et circonstances qui lui permettront de mettre la main dessus.
(Cf. la chanson de Joe Dassin sur les pains aux chocolats, impossible à écouter quand vos ados passent du hip-hop à fond la caisse dans la pièce à côté.)

2009-12-05

Ça fait envie...

 http://www.youtube.com/watch?v=hRETuPA7Fm4

Production déconseillée

J’imagine que mon refus de la reproduction a commencé quand j’étais lycéen par un refus de la production : mon père, avec qui je m’entends très bien maintenant, et qui travaillait dans l’industrie pharmaceutique, avait de l’admiration pour les ingénieurs et voulait me voir embrasser cette profession. J’ai passé mon bac scientifique d’abord, sans avoir vraiment le choix, puis je suis allé étudier deux choses inutiles, improductives, et donc essentielles à mes yeux : la musique et une discipline littéraire. J’ai finalement choisi de gagner ma vie en enseignant la discipline littéraire en question, mais je crains de ne pas avoir le talent d’Aher pour la corruption de la jeunesse.

2009-12-03

Réponse à l'appel à témoignage du Monde, ce 3 décembre

Vu en page d'accueil du Monde, aujourd'hui, cet appel à témoignage :

« La naissance d'un enfant a-t-elle modifié le partage des tâches dans votre couple ? »

J'ai répondu ceci, mais — serait-ce parce que j'ai réagi trop tard ? — ma réponse n'a pas été retenue par la rédaction :

Ça n'a rien modifié du tout.

Pourquoi est-ce que la naissance d'un enfant n'a en rien modifié le partage des tâches dans notre couple ? Parce qu'elle n'a pas eu lieu, tout simplement.

Nous avons en effet choisi d'être des mauvais Français et de ne pas avoir d'enfants. Nous avons ainsi des tâches ménagères plutôt légères et du temps pour jouir de nos nuits, profiter de nos grasses matinées, penser, lire, écrire, pratiquer la musique en amateurs, aller au concert, au théâtre, au cinéma…

Nous nous investissons plus que les parents dans nos tâches professionnelles, qui, tout à fait entre nous, sont probablement bien plus passionnantes que la lessive, le lavage des sols, le déplacement de centaines de kilos de courses par semaine entre le supermarché et la maison, et le transport d'ados ingrats à leur cours de judo du mercredi matin ou à leur lieu de drague du samedi soir.

Nous vivons dans un environnement sonore que nous choisissons l'un et l'autre à égalité, loin des bruits du hip-hop et des musiques de danses de jeunes. (J'écris ceci avec les Beatles en fond sonore.)

Nous n'avons en outre que peu d'angoisses liées à la mort : c'est une immense satisfaction métaphysique de savoir qu'on va mourir sans descendance. Il est également extrêmement satisfaisant de ne presque pas apparaître sur les fichiers des services sociaux de notre beau pays : assistantes sociales, DDASS, éducation nationale, police nationale…

2009-12-01

Éloge de la dissidence

Dans une société où même la rébellion est produite par le système, on ne manque pas de révoltés sympathiques, rebelles au grand cœur, et intellos subversifs de toutes sortes — tous ou presque dûment subventionnés par les maisons d’édition, les majors du disque et les grands groupes industriels propriétaires de journaux — mais les dissidents ne font plus partie du paysage, au point qu’on a souvent oublié le sens précis de ce mot qui n’évoque plus guère que le monde communiste pendant la guerre froide.

Il faut dire qu’un dissident n’est pas un personnage récupérable qui passe bien en télé : ce n’est pas un petit facteur au sourire d’ange qui prone la grève générale et la révolution, ni un évêque sulfureux privé de diocèse mais toujours porteur d’« espérance », ni un chanteur enragé qui séduit les foules tant il dénonce grave depuis sa maison en Patagonie, ni un gentil professeur des écoles qui pratique l’insoumission collective afin de défendre sa conception bourdieusienne de l'éducation face au sarkozysme triomphant.  C’est plutôt une figure de la négativité qui n’a pas d’alternative séduisante à proposer, une sorte de traître en compagnie duquel on ne gagne pas à s’afficher, un personnage qui tire sa force du fait qu’il n’est pas facile d’avoir prise sur lui tant il ne doit pas grand-chose à grand-monde. Il est à la fois intégré dans la société, puisqu’il y engage son talent et sa force de travail en échange d’un revenu, et en marge d’elle, puisqu’il n’en partage pas les valeurs et n’y engage donc pas sa personne. Il sait se faire aimer (parfois) et se faire détester (souvent).

La référence absolue en matière de dissidence est sans doute un rabbin qu'on a appelé Aher, « l’autre ». La tradition juive raconte dans le Talmud comment, il y a 2 000 ans environ, quatre rabbins exceptionnels auraient été admis à visiter le Paradis de leur vivant. L’histoire dit que le premier y est mort, le deuxième en est revenu fou, le troisième en est revenu athée et le quatrième en est revenu inchangé.

Les commentateurs autorisés utilisent cette histoire pour valoriser le quatrième rabbin, Akiba, le fondateur du judaïsme moderne, considéré comme le maître par excellence. Alors même qu’il est précisément celui des quatre qui ne mérite aucune confiance : quelle peut être la valeur de l’enseignement d’un homme qu’une telle expérience ne transforme pas ? Non, pour qui sait entendre les histoires, le personnage remarquable est le troisième rabbin, Aher, celui dont il est dit qu’il est ressorti athée de ce qui est pourtant posé comme la plus extraordinaire expérience mystique qui puisse être vécue par un homme.

J’imagine qu’il a rendu compte de cette expérience à ses camarades avec à la bouche le petit sourire émerveillé de Dominique Farrugia quand il présentait la météo, et qu’il a été accueilli de manière aussi chaleureuse  et fraternelle que Ségolène Royal au salon des Admirateurs de Vincent Peillon ou Sarah Palin au banquet annuel de l’Amicale des Ours Blancs. L’histoire dit juste qu’il a été excommunié de la Synagogue sans espoir de retour ; c’était peut-être bien ce qu’il voulait.

Si j’ai raconté cette histoire en guise de préalable, c’est que la dissidence d’Aher a en son cœur une dimension de refus de la succession des générations : le Talmud dit laconiquement et mystérieusement que son athéisme l’a poussé à « couper les plantations ». On explique habituellement que cette formule obscure signifie qu’il est devenu enseignant corrupteur de la jeunesse, mais elle peut se lire aussi comme une métaphore du refus de la paternité.

Début

Je dirai pour commencer que mon refus d’avoir des enfants n’est pas viscéral. Il s’inscrit dans une vision du monde construite petit à petit : je me considère comme un dissident et le refus d’être père est un des piliers de la dissidence que j’ai choisie. Je suis un dissident tranquille, provincial, incapable d’envergure internationale : sur mon front, il n’y a pas écrit Vaclav Havel ou Giordano Bruno. Mais je suis un dissident quand même.